Infuser la vie – Entretien avec María Kockmann
- Lorela Lohan
- Jun 5
- 6 min read
Le texte est disponible en français et en anglais pour vous permettre de plonger dans son univers quelle que soit votre langue. Scroll down for the English version.

Tu dis que le thé a toujours été un compagnon de vie. Peux-tu nous raconter comment ce lien s’est tissé ?
Je crois que le thé a toujours été là, comme un fil discret mais solide. Dès mon enfance, en Uruguay, je buvais du thé avec ma grand-mère anglaise dans son petit atelier de couture. Ce sont des souvenirs sensoriels très puissants : le tissu, la vapeur, la porcelaine, le silence... Plus tard, quand je me suis retrouvée seule, à 12 000 kilomètres de chez moi, c’est le thé qui m’a accompagnée. Il m’a permis de rester ancrée, de traverser mes propres ombres. Ce n’est qu’à 39 ans, dans un moment de bascule professionnelle, que j’ai décidé d’en faire mon métier.
Le thé m’a conduite vers une introspection profonde, vers une forme de lucidité sur la vie.
Tu as souvent parlé de ta grand-mère et des souvenirs d’enfance liés au thé. Comment ces images t’inspirent-elles encore aujourd’hui ?
Elles me nourrissent chaque jour. J’ai quitté mon pays jeune, et je vis en exil volontaire depuis mes 18 ans. Le thé me relie à une mémoire, à des racines invisibles. Il me donne un ancrage. Il est à la fois un lien avec mon passé et un miroir de mon présent. Je transmets le thé aujourd’hui comme on transmet une histoire, une lignée, une sensation.
Comment décrirais-tu ton métier aujourd’hui, en une phrase ?
Je dirais : je travaille dans l’expérience du thé sous toutes ses formes. C’est un métier sensoriel, mais aussi émotionnel, culturel, humain. Je suis consultante, sommelière, curatrice de gammes, formatrice… mais au fond, je crée des expériences où le thé devient un médium de présence.
Tu as fondé la première agence de conseil en thé. Qu’est-ce qui t’a motivée ?
C’est né d’un échec. Mon premier projet de maison de thé en Amérique du Sud a été un fiasco. De retour en Europe, j’ai voulu aider d’autres à ne pas vivre la même chose. J’accompagne les marques avec honnêteté et engagement, je me mets à leur place. Je constate aussi que beaucoup sont isolés, manquent de soutien.
J’aimerais qu’on puisse créer une vraie communauté professionnelle autour du thé, un écosystème bienveillant.
Justement, tu dis souvent que le thé est un jardin, un écosystème…
Oui, c’est une image que j’aime. Il y a de grandes plantes, des petites fleurs, des arbres solides… chacun a sa place. Ce n’est pas une industrie froide ou compétitive, c’est un univers vivant. On ne devrait pas se voir comme des concurrents, mais comme des co-gardiens d’un paysage commun.

Le Paris Tea Festival arrive bientôt. Que représente cet événement pour toi ?
C’est un projet très personnel. Paris est une ville de culture, de goût, de raffinement. Le thé y a toute sa place, mais il manquait un rendez-vous pour le mettre à l’honneur comme produit gourmet, de terroir, à la hauteur du vin ou du fromage. Avec ce festival, je veux créer un espace de rencontres, de transmission, de dégustation, qui valorise toutes les facettes du thé.
Tu voyages beaucoup à la rencontre des producteurs. Qu’est-ce que ces rencontres t’ont apporté ?
Elles m’ont offert une conscience plus profonde. Derrière chaque thé, il y a un territoire, une culture, des mains. Quand je bois un thé, je pense à la terre, au climat, aux gestes. Cela donne du sens à chaque tasse. Ces voyages me reconnectent aussi à mes propres valeurs, à ce que j’ai envie de porter.

Comment vois-tu l’évolution du thé dans les années à venir ?
Le marché est en croissance, c’est évident. Mais les défis sont là : le climat, l’adaptation agricole, les modèles commerciaux à repenser. En France, la culture du thé pourrait vraiment se développer. Et les boutiques vont devoir évoluer, proposer des expériences plus riches, plus incarnées. Le consommateur ne veut plus juste un produit : il veut une histoire, une émotion, une cohérence.
Tu parles souvent d’une pratique du thé “en conscience”. Qu’est-ce que cela signifie pour toi, concrètement ?
C’est une manière d’habiter la vie. Être présente, ici et maintenant. Chaque tasse est une opportunité d’éveil. Je choisis avec soin mes objets, mes partenaires, mes projets.
Pour moi, infuser le thé, c’est honorer le temps, la matière, la relation. Cela m’aide à ne pas me disperser, à rester alignée.
Quel est ton thé préféré en ce moment?
Cela dépend beaucoup de l’humeur, des saisons, du corps. J’aime les Darjeelings de printemps, les oolongs verts… Mais en ce moment, deux origines me touchent particulièrement : le Pérou, pour la force sacrée de ses terres et le lien invisible qui s’en dégage. Et la Corée, où j’ai vécu des moments très forts, presque mystiques. Ces thés parlent à mon âme.

Et si tu ne devais donner qu’un seul conseil à une personne qui commence sa route du thé ?
Curiosité et conscience. Refuser les dogmes, oser ressentir. Le thé est une école de liberté. Il nous apprend à goûter, à ralentir, à voir plus clair.
“Dès qu’on met de la conscience dans un geste aussi simple qu’infuser une feuille, l’expérience se transforme. Et peut-être, nous aussi.”
Infusing Life – A Conversation with María Kockmann
Tea as a path of memory, awareness, and connection
You often say tea has been a lifelong companion. How did that connection begin?
Tea has always been there for me, like a quiet but steady thread. As a child in Uruguay, I would drink tea with my English grandmother in her little sewing workshop. I still remember the textures, the warmth, the porcelain. Later, when I found myself living far from home, alone, it was tea that kept me anchored. It helped me stay grounded to navigate my shadows. It wasn’t until I was 39, during a deep professional shift, that I allowed myself to make tea my work. Tea brought me to a place of introspection and clarity.
You often mention your grandmother and those childhood moments. How do they continue to guide you today?
They are my roots. I left my home country early, and I've been a voluntary exile since I was 18. Tea is what ties me back to an invisible lineage. It’s my way of staying connected to memory, to a sense of home. Today, when I share tea, I also share that story, that emotional heritage.
How would you describe your work in a single phrase?
I would say: I work in the experience of tea, in all its forms. My role is sensory, emotional, and cultural. I’m a consultant, sommelier, curator, trainer... but above all, I create meaningful experiences through tea.
You founded the first tea consulting agency. What led you to do that?
It came from failure. My first tea business in South America didn’t succeed. When I returned to Europe, I wanted to help others avoid the same mistakes. I advise tea projects with honesty and care. I also realised how many people in this field are isolated. I dream of a real professional community—an ecosystem of collaboration.
You describe the tea world as a garden. Can you explain?
Yes, I love that metaphor. In a garden, there are giant trees and tiny flowers, and everything has its place. Tea isn’t a cold industry—it’s alive. We shouldn’t see each other as competitors, but as fellow stewards of a shared landscape.
The Paris Tea Festival is coming up. What does this project mean to you?
It’s deeply personal. Paris is a city of taste, culture, and refinement. Tea belongs in that space, just like wine or cheese. I want the festival to celebrate tea as a terroir product, a gourmet treasure. It will be a space of connection, storytelling, and sensory discovery.
You’ve travelled to meet tea producers around the world. What have those journeys revealed to you?
They’ve taught me awareness. Behind every tea, there’s a place, a culture, a pair of hands. When I drink tea, I think of the soil, the climate, and the effort. These journeys reconnect me to my values, to the kinds of stories I want to carry forward.
How do you see the future of tea evolving?
The market is growing, that’s clear. But we’re facing challenges—climate, agriculture, and changing consumer expectations. Local production, especially in France, is on the rise. Tea shops will need to evolve too—people don’t just want a product anymore, they want an experience, a story, a sense of purpose.
You often talk about a “conscious tea practice.” What does that mean in daily life?
It’s a way of being in the world. Awareness begins the moment I wake up—gratitude for life, for time. When I prepare tea, I honour that moment. I choose my teaware, my leaves, and my collaborators with care. Consciousness gives depth to even the smallest rituals.
Do you have a favourite tea right now?
It depends on the season, my mood, and my body. I love spring Darjeelings, green oolongs… but lately, I’ve been moved by two origins: Peru, for the sacred energy of the land and the spiritual depth of its valleys, and Korea, for the powerful, almost mystical experiences I had there.
Finally, if you could offer one piece of advice to someone starting their tea journey, what would it be?
Curiosity and consciousness. Stay open. Avoid dogmas. Tea is a path to freedom. It teaches us to slow down, to feel, to taste life fully.
“As soon as you bring consciousness to something as simple as steeping a leaf, the experience changes. And maybe, so do we.”
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