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La poésie de Léo — Le thé, un art de vivre et d’émerveillement

Entretien avec Léo Dugué-Perrin, Chercheur de thé chez PALAIS DES THÉS


Cet entretien est disponible en version complète en français et en version abrégée en anglais.

This interview is available in full in French and an abridged version in English.


Introduction


À seulement 15 ans, Léo découvre une vocation rare : il veut devenir "Chercheur de Thé". Après un stage marquant chez Palais des Thés, il part un an s’immerger dans les terroirs du thé, du Népal à Taïwan. Aujourd’hui, il parcourt le monde pour dénicher les plus beaux crus. Il nous raconte son parcours avec tendresse, exigence et émerveillement.


Léo dans son habitat: à la cherche des feuilles magiques
Léo dans son habitat: à la cherche des feuilles magiques

Lorela: Peux-tu nous parler de ta première rencontre avec le thé, à travers le Thé des Enfants ?


Léo : Le souvenir est flou, comme baigné d’une lumière dorée, mais il reste intact dans mon cœur. J’avais six ou sept ans. C’était l’après-midi, la maison baignait dans le calme du week-end, et entre mes mains d’enfant, une tasse fumante exhalait des parfums sucrés. Le Thé des Enfants — ce n’était pas vraiment du thé au sens strict : une infusion tendre, parsemée d’hibiscus, de fraise, de cerise. Peu importait.


Ce que je découvrais alors, ce n’était pas une saveur, c’était un refuge.

Le liquide chaud entre mes doigts, le parfum rond dans l’air, le sentiment qu’en cet instant précis, rien de mal ne pouvait m’atteindre. J’ai appris là que le thé n’est pas seulement une boisson : c’est une main invisible, une chaleur, une promesse de réconfort.


Je garde encore, comme une relique, 500 grammes de ce Thé des Enfants, soigneusement refermé. Parfois, je n’ouvre même pas le sachet pour en préparer une tasse. Il suffit de respirer doucement cette odeur familière pour retrouver, en un battement de paupières, le sentiment d’une enfance paisible. Voilà, je crois, le pouvoir secret du thé : il est un passeur de mémoire et d’émotion.


Le thés des Enfants: mélange fruité de thé noir, d’agrumes, de pommes, de baies rouges, de pétales d’hibiscus et de rose.
Le thés des Enfants: mélange fruité de thé noir, d’agrumes, de pommes, de baies rouges, de pétales d’hibiscus et de rose.

Lorela: Comment, à 15 ans, as-tu su que tu voulais consacrer ta vie au thé ?


Léo :J’ai toujours été un être de curiosité et de rêve. À quinze ans, alors que beaucoup cherchent encore à se définir, moi j’ai écouté une intuition. J’ai pris une feuille blanche et j’y ai couché quelques mots simples : voyager, découvrir, transmettre. Puis, presque comme un enfant relie les étoiles pour tracer des constellations imaginaires, j’ai cherché à donner un sens à cet assemblage.


Un jour, sur Internet, je suis tombé sur le blog de François-Xavier Delmas : « Chercheur de Thé ». Ce n’était pas seulement un blog. C’était un appel. Un métier qui conjuguait tout ce que j’aimais. J’ai su instantanément : c’était ma voie.

On m’a répondu qu’il n’existait qu’un seul Chercheur de Thé, et que la place était déjà prise. Mais à quinze ans, on a le privilège de l’insouciance et de la foi pure. S’il y en avait un, pourquoi pas deux ? J’ai choisi d’y croire.


Lorela: Tu es parti un an visiter des plantations dans 10 pays. Que t’a appris ce voyage ?


Léo: Ce voyage a été pour moi une école silencieuse, une école sans murs ni tableaux noirs, mais où chaque feuille de thé, chaque ride de cultivateur, devenait une leçon. J’ai appris que faire du thé, ce n’est pas suivre une recette figée. C’est une forme de conversation avec la matière vivante.

Chaque matin, au Népal, au Sri Lanka, en Chine, je regardais les maîtres rouler, flétrir, oxyder les feuilles. Leurs gestes semblaient simples, mais portaient en eux des décennies de savoir tacite. J’ai compris qu’un thé réussi n’est pas le fruit d’une méthode, mais d’une écoute : la feuille parle, il faut savoir l’entendre. La pluie de la veille, la brume du matin, la fatigue dans les mains — tout influe.


Un bon thé est une œuvre d’adaptation, de sensibilité.

Ce voyage a aussi été un voyage à l’intérieur de moi-même. Il m’a appris l’humilité, la patience, l’art de renoncer à ma volonté pour me mettre au service de quelque chose de plus grand, plus ancien que moi.


Plantation, Plante Camellia Sinensis, Feuilles travaillés.


Lorela: Y a-t-il un souvenir marquant qui incarne la beauté de ton métier ?


Léo :Oui. C’était au Népal, encore. Un lieu où la brume descend dans les vallées comme un rideau de mousseline, où les champs de thé s’étendent à perte de vue.

J’étais chez un producteur, Xempo, que j’avais rencontré lors de mon tout premier voyage. Cinq ans plus tard, devenu acheteur, je suis revenu, inquiet de voir si notre relation allait se teinter de marchandage. Mais Xempo m’a accueilli comme un vieil ami.

Un soir, à la lumière vacillante d’une lampe à huile, il m’a confié : "Ma femme est enceinte. C’est une fille. Je voudrais que tu choisisses son prénom."

Ce geste m’a bouleversé. Il dépasse les mots, les langues, les marchés. Il dit que le thé peut tisser entre deux âmes un lien silencieux, profond, indéfectible. C’est un métier d’humanité.


Népal (Xempo tea maker qui a appris beaucoup sur la manufacture du thé à Léo
Népal (Xempo tea maker qui a appris beaucoup sur la manufacture du thé à Léo

Lorela: Comment définirais-tu le métier de Chercheur de Thé ?


Léo: C’est un métier de quête et de solitude choisie. Être Chercheur de Thé, c’est accepter de s’éloigner des sentiers battus pour aller à la rencontre de ce qui n’a pas encore été révélé. Ce n’est pas feuilleter des catalogues ou remplir des tableaux Excel. C’est enfiler ses bottes, traverser des vallées inconnues, s’asseoir sur des nattes tressées et écouter les histoires des cultivateurs.

Mon travail, c’est une exploration, une chasse au trésor patiente et incertaine. Chercher le thé, c’est être attentif à ce qui ne se montre pas d’emblée, c’est deviner dans l’ombre d’un parfum, dans le velours d’une texture, une promesse. C’est un métier d’intuition, mais aussi d’humilité, car la nature a toujours le dernier mot.


Mon travail, c’est une exploration, une chasse au trésor patiente et incertaine

Lorela: À quoi ressemble une journée typique dans ta vie ?


Léo : Il n’y a pas de journée typique, et c’est ce qui me plaît. Ma vie oscille entre deux pôles. En voyage, c’est une existence presque monastique. Je me réveille tôt, je traverse des plantations noyées de brume, parfois à moto, parfois à pied, dans des coins oubliés du monde.

Je goûte des thés sur des tables rudimentaires, parfois assis en tailleur sous un auvent, parfois debout dans la poussière. Chaque tasse est une conversation silencieuse avec le lieu, avec le climat, avec les mains qui l’ont façonnée.


Léo, le "Chercheur du Thé" en Thailande
Léo, le "Chercheur du Thé" en Thailande

Quand je suis à Paris, le décor change. Je reçois des dizaines de colis : Darjeeling, Uji, Yunnan, Assam... Des feuilles venues du bout du monde dans de simples paquets. Je déguste à l’aveugle, 100, parfois 300 thés par jour. À chaque gorgée, je cherche la grâce discrète, l’étincelle.

Entre deux dégustations, je prépare les prochains voyages. Je trace sur des cartes des chemins invisibles, je lis les pluies, les moussons, les récoltes futures.


Lorela: Comment choisis-tu les crus que tu sélectionnes ?


Léo: Je travaille à l’aveugle, toujours. Je couvre les étiquettes, j’efface les souvenirs, pour n’écouter que le thé lui-même. La mémoire est trompeuse ; seul le palais sait vraiment.

Je cherche un équilibre subtil : la justesse de l’aromatique, la densité de la texture. Mais au-delà de la technique, je poursuis un frisson, une évidence muette. Parfois, une tasse modeste, sans éclat, ouvre une brèche dans le quotidien et révèle une pureté, un éclat intime.

C’est cette rencontre que je cherche : un moment suspendu, un thé qui fait taire les mots.


Je couvre les étiquettes, j’efface les souvenirs, pour n’écouter que le thé lui-même


Lorela: Quelle importance accordes-tu à la relation humaine dans ton travail ?


Léo: Le thé est un prétexte sublime pour tisser des liens. Derrière chaque feuille, il y a un visage, une histoire, une terre nourricière. Mon métier n’aurait aucun sens sans ces rencontres.

Je travaille autant pour ceux qui dégustent nos thés que pour ceux qui les font naître. Je me vois comme un passeur. Entre les cueilleurs aux mains tannées par le soleil, et les palais avides de découverte. Parfois, ces relations deviennent des amitiés indélébiles. Ce ne sont pas seulement des accords commerciaux, ce sont des pactes de confiance, tissés de patience et de respect mutuel.


Mon métier n’aurait aucun sens sans ces rencontres.

Producteurs de Thés.


Lorela: As-tu un thé préféré ? Celui qui te touche toujours ?


Léo : Il m’est difficile de choisir. Le thé est comme la musique : chaque moment appelle sa mélodie.

Mais s’il fallait en élire un, ce serait le thé blanc vieilli. Ces feuilles lentes, patiemment mûries par le temps, exhalent une douceur poudrée, un velouté presque irréel. Je peux en boire des litres, avec un bol entre les mains, en écoutant simplement le silence.


Le thé est comme la musique : chaque moment appelle sa mélodie.

Et puis il y a les thés du Népal. Ces crus discrets, élégants, tissés de notes florales et de brumes d’altitude. Ils parlent à l’âme. Les producteurs népalais sont des poètes de la feuille, et leur thé porte en lui une part d’émerveillement intact.


Cérémonie Japonaise  de Thé (Cha No Yu)
Cérémonie Japonaise de Thé (Cha No Yu)

Lorela: Quel conseil donnerais-tu à un jeune passionné qui rêve de faire ce métier ?


Léo : D’abord, croire en son rêve avec obstination. Le chemin est étroit, parfois solitaire, mais il vaut d’être emprunté. Ensuite, cultiver l’émerveillement. Ne jamais juger un thé à son origine. Goûter, humer, écouter sans préjugés. Rester humble face à la matière, face à la nature.

Enfin, ne pas craindre la lenteur. Le thé enseigne la patience, et c’est à ceux qui savent attendre qu’il livre ses secrets.


Lorela: Peux-tu nous parler de cette manufacture en Géorgie que tu as fondée ?


Léo: La Géorgie... Un pays aux collines douces et au ciel vaste, où le thé renaît après des décennies d’oubli. Nous avons acquis une ancienne maison dans une plantation oubliée, et nous l’avons transformée en manufacture-école. Une maison simple, mais vivante, où résonnent les conversations, les essais, les rires.


Manufacture-école en Géorgie


Ici, nous apprenons aux collaborateurs de Palais des Thés à faire du thé de leurs propres mains. Pas seulement en théorie, mais en vivant la matière, en la flétrissant, en l’oxydant, en l’écoutant.

Chaque stagiaire repart changé, avec une compréhension tactile, viscérale du thé. C’est un lieu de transmission et d’initiation, où l’on touche du doigt l’essence même du travail artisanal.


Lorela: Et la céramique ?


Léo : Faire du thé sans terre, c’est comme écrire sans papier. La céramique est venue comme une évidence. J’ai ressenti le besoin de comprendre aussi ce qui accueille le thé. Je travaille l’argile brute, je façonne des bols, des théières, que je cuis dans un four à bois. Là encore, le feu, la patience, l’imprévu.Ce n’est pas encore un projet commercial. Mes pièces sont des compagnons silencieux de dégustation. Un prolongement naturel de la main vers la matière. Chaque tasse que je crée est une célébration discrète du thé et de ceux qui le boivent.



Interview with Léo — Tea as a Way of Life and Wonder


At just 15 years old, Léo discovered a rare vocation: he wanted to become a Tea Hunter. After a pivotal internship at Palais des Thés, he spent a year travelling through tea terroirs from Nepal to Taiwan. Today, he scours the world for the finest leaves. He shares his journey with tenderness, precision, and a profound sense of awe.


L: Your first memory of tea?


Léo: It was a refuge. As a child, I discovered the Thé des Enfants — a soft infusion with notes of cherry, strawberry, and hibiscus. It wasn’t just about taste, it was about comfort. To this day, I keep 500 grams of it, opening the bag sometimes to inhale the memory of calm childhood weekends.


L: At 15, you decided to dedicate your life to tea. How did you know?


Léo: I listed what I love: travelling, discovering, and sharing. Then, like connecting stars in the sky, I found the Tea Hunter blog by François-Xavier Delmas, and my path appeared. They told me there was only one Tea Hunter. I thought: if there’s one, why not two?


L: What did a year across 10 countries teach you?


Léo: That tea is not a recipe but a conversation with living matter. Every leaf needs to be listened to — its humidity, its texture, its life. This journey taught me humility and patience — to serve something older and wiser than myself.


L: A memory that captures the beauty of your profession?


Léo: In Nepal, a tea maker named Xempo, whom I first met as a student, asked me years later to choose the name of his newborn daughter. Tea can weave ties deeper than language or trade.


L: How would you define a Tea Hunter’s job?


Léo: It’s about venturing where no one else goes and seeking what no one else seeks. It's intuition, humility, and relentless curiosity.


L: A typical day?


Léo: In the field: misty plantations, endless tastings under makeshift shelters. In Paris: blind tasting hundreds of samples, preparing the next journey, decoding harvests and rains. No two days are alike.


L: How do you select your teas?


Léo: Blind tasting, always. I look for a balance between aroma and texture, but mostly, I seek that silent spark — a tea that makes words unnecessary.


L: What role does human connection play?


Léo: It’s everything. Behind every tea is a face, a story, a sun-worn pair of hands. My job is to be a bridge between the grower and the drinker.


L: Your favourite tea?


Léo: Aged white teas — for their velvety softness. And Nepalese teas — discreet, floral, poetic. They speak straight to the soul.


L: Advice for young aspiring Tea Hunters?


Léo: Believe relentlessly. Cultivate wonder. Listen without prejudice. And above all, be patient — tea rewards those who wait.


Tell us about your tea school in Georgia.


We turned an old plantation into a living school. Students learn by making tea with their hands, feeling its transformation. It’s a place to reconnect with the essence of craftsmanship.


And your ceramics?

Tea needs earth. I shape bowls and teapots from raw clay, fired in a wood kiln. Each piece is a quiet celebration of the tea and its journey.



Picture Credits: Personal Gallery of Léo

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