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Un artisan contemporain du thé : rencontre avec Benjamin Sieuw

Updated: Aug 26

Fondateur de Curiousitea — et bien plus encore


Cet entretien est disponible en français et anglais.

This interview is available in French and English.


Introduction

J’ai eu l’occasion de croiser Benjamin à plusieurs reprises au fil des années, mais cette fois, j’ai saisi l’opportunité de m’entretenir plus longuement avec lui pour mieux comprendre son univers, sa démarche et sa vision du thé.

Notre rencontre s’est déroulée chez Wistaria, maison de thé taïwanaise, autour de quelques oolongs soigneusement infusés, en échangeant sur son parcours, ses projets, ses convictions… et sur ce que pourrait devenir, demain, le thé en Europe.

1.Peux-tu nous raconter ton parcours et ce qui t’a amené à faire du thé à la fois ton métier et ton terrain d’exploration ?


Ma toute première immersion dans l’univers du thé remonte à 2015, alors que j’étais encore étudiant en psychologie. Je travaillais à Montmartre, dans une petite boutique indépendante appelée Bonthés, tenue par un passionné dont la transmission m’a profondément marqué. Il avait cette capacité à faire parler les feuilles, à en révéler l’âme.

Je me souviens encore d’ouvrir les boîtes chaque matin, comme on ouvre un coffre aux trésors : les arômes, les textures… c’était une découverte sensorielle, presque magique.

C’est à ce moment-là que je suis littéralement « tombé dans le thé ». Peu à peu, cette passion m’a poussé à me former de manière autodidacte, à lire énormément, à dialoguer avec des experts. J’ai ensuite travaillé pour plusieurs grands noms du thé français et japonais, entre autres. J’y ai beaucoup appris, mais aussi ressenti le besoin d’aller plus loin, d’être plus libre, plus créatif, plus engagé.


2.Tu as commencé en te formant seul, puis tu as intégré plusieurs grandes maisons. Quelles expériences t’ont le plus marqué dans ce parcours atypique ?

J’ai énormément appris grâce aux lectures, aux rencontres, et aux blogs spécialisés — notamment celui de Florent Weugue, le premier sommelier français certifié Nihon-cha Instructor au Japon.



Mon premier voyage au Japon, en 2015, a marqué un véritable tournant. Bien qu’il n’ait duré qu’une dizaine de jours, il m’a permis de découvrir une approche du thé à la fois plus rigoureuse, plus profonde, presque philosophique. Par la suite, j’ai eu l’occasion de retourner au Japon presque chaque année, entre voyages personnels et découvertes. En 2016 et 2018, il s’agissait encore de courts séjours touristiques ou de WWOOFing*, mais c’est véritablement en 2019 que j’ai effectué mon premier voyage entièrement professionnel.


Cette année-là, j’ai passé trois mois et demi en immersion auprès d’une raffinerie de thé – ce que les Japonais appellent un seicha ou shiage. Ce fut un moment clé dans ma carrière. J’y ai non seulement découvert les coulisses du thé japonais, mais aussi visité plusieurs plantations, échangé avec des producteurs, et vécu le thé de l’intérieur. Cette expérience m’a profondément influencé : elle m’a montré à quel point cette culture repose sur l’excellence, la patience et une discipline exigeante.


La cueillette du Gyokuro - Shizuoka, Japon (Crédits photo - Curiousitea)
La cueillette du Gyokuro - Shizuoka, Japon (Crédits photo - Curiousitea)

*WWOOFing consiste à accueillir sur des exploitations agricoles biologiques des personnes majeures afin de leur faire découvrir un autre mode de vie tourné vers la nature et partageant le quotidien d'exploitants.


3.Le Japon occupe une place importante dans ton histoire personnelle et professionnelle. Qu’as-tu appris auprès des producteurs japonais, et qu’est-ce qui t’inspire dans leur rapport au thé ?

Ce qui m’a profondément marqué, c’est leur rigueur et leur capacité à aller au bout de chaque geste. Au Japon, on considère qu’il faut consacrer au moins 10 000 heures à une pratique pour pouvoir prétendre la maîtriser. C’est une culture de l’engagement total. Là-bas, le thé n’est pas qu’une boisson : c’est une voie, un chemin de vie.


Cette philosophie m’a façonné. Elle m’a appris à prendre le temps, à respecter les saisons, les matières, les savoir-faire. Aujourd’hui encore, elle guide mon approche du thé et de la transmission.


Avec Akihito Takaki sur sa plantation de thé albinos, - Yame, Fukuoka (Crédits photo - Curiousitea)
Avec Akihito Takaki sur sa plantation de thé albinos, - Yame, Fukuoka (Crédits photo - Curiousitea)

4.En 2017, tu lances Curiousitea sur YouTube, une initiative pionnière. Quel était ton objectif avec cette chaîne ? Et comment la vois-tu évoluer aujourd’hui, même si tu y publies moins ?



À l’époque, il n’existait aucune chaîne francophone exclusivement dédiée à la découverte du thé. J’ai voulu combler ce manque en proposant du contenu pédagogique, nourri par mes voyages, mes lectures et mes rencontres. J’ai produit des vidéos sur les bars à thé dans le monde, les terroirs, les grandes familles de thé… et plus tard, sur les débuts de la production européenne.


Aujourd’hui, la chaîne est en pause, car d’autres projets ont pris le relais. Mais l’envie est toujours là. Je travaille actuellement sur une series de documentaires consacré au thé européen, dans un format plus long, plus immersif.


5.Tu proposes aussi aujourd’hui un programme de formation professionnelle. Qu’est-ce qui t’a donné envie de structurer ton savoir à travers les formations « Focus » et « Métiers du thé » ?

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Dès mes débuts, j’ai ressenti un vide. J’aurais aimé qu’on me propose un programme sérieux, structuré, complet, pour m’accompagner dans cette passion. C’est ce que j’ai voulu créer avec Curiousitea.


Les formations « Focus » sont des modules spécialisés sur des thématiques précises. Le cursus « Métiers du thé », lui, est plus global : il s’adresse à celles et ceux qui souhaitent faire du thé un véritable métier. L’objectif, c’est de transmettre toutes les dimensions du thé : de la culture à la transformation, de la dégustation à l’histoire, de l’approche sensorielle à la posture professionnelle.


Les objets du thé - Formations Academy Curiousitea (Crédits photo - Evasio Studio)
Les objets du thé - Formations Academy Curiousitea (Crédits photo - Evasio Studio)
6. À qui s’adresse cette offre pédagogique ? Quels profils accompagnes-tu ?

Les profils sont très variés : des passionnés qui veulent approfondir leurs connaissances, des professionnels de la restauration ou de l’hôtellerie en reconversion, mais aussi des entrepreneurs qui souhaitent lancer leur propre projet. L’idée est d’accompagner chacun selon son parcours, avec une approche à la fois exigeante, bienveillante et accessible.


Session de formation Curiousitea Academy (Crédits Photo - Evasio Studio)
Session de formation Curiousitea Academy (Crédits Photo - Evasio Studio)

7.Tu défends une approche singulière : celle du thé français et européen. Pourquoi ce choix, et comment perçois-tu cette théiculture émergente ?

Avec le temps, j’ai pris conscience des limites d’une intégration totale au Japon. J’aime mon pays, et c’est en France que je souhaite me développer et faire découvrir le thé au plus grand nombre. Ce qui m’anime aujourd’hui, c’est l’envie de ramener en Europe ce que j’ai vu, appris et ressenti là-bas, pour contribuer à l’émergence d’une véritable théiculture européenne, de qualité, respectueuse et profondément enracinée dans nos territoires.


Je souhaite être acteur de chaque étape : la production, la transformation, la dégustation, la transmission. En France, et notamment en Bretagne, de véritables projets voient le jour. C’est là que je veux investir mon énergie. D’ailleurs, cette année, Maison Théerie m’a confié la mission de réaliser toutes les transformations de thé breton issues de leurs deux plantations partenaires dans le Finistère, en tant que tea maker.

Cuisson du thé vert breton au wok (Crédits photo - Benjamin SIEUW - Curiousitea)
Cuisson du thé vert breton au wok (Crédits photo - Benjamin SIEUW - Curiousitea)

8.Tu collabores avec des producteurs européens, mais aussi avec des experts japonais. Comment ce dialogue nourrit-il ta vision du thé « à l’européenne » ?

Les savoir-faire asiatiques sont indispensables. Ce sont eux qui posent les fondations, tant techniques que culturelles. C’est pourquoi je cherche à créer des ponts : faire venir des producteurs japonais pour accompagner les projets européens, échanger sur les pratiques, adapter les méthodes aux réalités locales.

C’est un dialogue vivant, entre tradition et innovation.
Fabrication de thé blanc japonais avec Keiichiro Shimizu à Hidaka-shi, Saitama (Crédits photo - Keiichiro Shimizu)
Fabrication de thé blanc japonais avec Keiichiro Shimizu à Hidaka-shi, Saitama (Crédits photo - Keiichiro Shimizu)

9.Avec Margaux, tu formes un binôme complémentaire. Comment répartissez-vous vos rôles au sein de Curiousitea ? Et comment son regard artistique influence-t-il vos sélections ?

Margaux est un pilier du projet, une véritable boussole. Elle m’a rejoint en 2020 pour développer la boutique en ligne. Elle goûte, elle sélectionne avec moi. Son approche est très sensorielle, intuitive : elle observe la robe du thé, ses reflets, son parfum, sa texture.


Au départ, elle abordait le thé avec un regard frais et candide, ce qui lui permettait de se laisser guider par ses sensations plutôt que par des critères techniques — et d’incarner ainsi le point de vue du grand public, curieux mais non initié.


C’est elle qui donne une cohérence visuelle à l’ensemble. Sa sensibilité pour le wabi-sabi, pour l’artisanat, nourrit profondément l’âme de Curiousitea.

Margaux Morelle, l'autre facette de Curiousitea (Crédits photo - Juline Wen)
Margaux Morelle, l'autre facette de Curiousitea (Crédits photo - Juline Wen)
10.Quels sont tes projets pour les années à venir ? Souhaites-tu relancer la chaîne, explorer de nouveaux formats ou collaborations ?

Je développe actuellement une série documentaire intitulée « Thés d’Europe », consacrée à l’émergence d’une culture du thé sur le continent. Le premier épisode, d’une durée de 20 à 30 minutes, sera centré sur un producteur implanté en Bretagne, pionnier dans ce domaine. Nous envisageons également de lancer un podcast dédié au thé, où nous inviterions des passionnés et des figures du milieu pour échanger autour de dégustations en direct, de discussions thématiques et d’actualités liées à l’univers du thé.


Et à plus long terme, j’ai un rêve : fonder une école du thé en France. Un lieu dédié à la formation, à la transformation, au partage. Idéalement en Bretagne. J’aimerais qu’un jour, il soit possible de proposer une formation diplômante, reconnue par l’État, pour faire du thé un vrai métier — avec ses exigences, sa noblesse… et sa poésie.

Thés blancs bretons (Crédits photo - Curiousitea)
Thés blancs bretons (Crédits photo - Curiousitea)

A Contemporary Artisan of Tea: A Conversation with Benjamin Sieuw


Founder of Curiousitea – and much more


Introduction

I’ve had the chance to cross paths with Benjamin several times over the years, but this time I took the opportunity to sit down with him and explore more deeply his world, his approach, and his vision of tea.
We met at Wistaria, a Taiwanese tea house, where we shared a few carefully brewed oolongs and talked about his background, his projects, his values — and what the future of tea in Europe might look like.

1.Can you tell us about your background and what led you to make tea both your profession and your field of exploration?

My first real immersion into the world of tea began in 2015, when I was still studying psychology. I was working in Montmartre, in a small tea shop called Bonthés, run by a passionate man whose way of transmitting his knowledge deeply inspired me. He had this ability to make the leaves speak — to reveal their soul. Every morning, opening the tea boxes felt like opening a treasure chest: the aromas, the textures… It was a sensory discovery, almost magical.

That was the moment I truly fell into tea.

This passion quickly led me to self-train, read extensively, and engage in conversations with experts. I later worked with several prestigious French and Japanese tea houses. I learned a great deal, but I also felt a strong desire to go further and bring more dynamism into my work.


2. You started self-taught, then worked with some of the most established tea names in France. Which experiences left the deepest impression on you?

I learned so much through books, meetings, and specialised blogs — especially that of Florent Weugue, the first French tea sommelier certified as a Nihon-cha Instructor in Japan.


My first trip to Japan, back in 2015, was a true turning point. Though it only lasted around ten days, it opened my eyes to a much deeper, more rigorous, and almost philosophical approach to tea. From then on, I returned to Japan nearly every year — at first for personal trips and explorations. In 2016 and 2018, my stays were brief and mostly for tourism or WWOOFing in rural areas. But 2019 marked a major professional milestone.


That year, I spent three and a half months fully immersed in a tea refinery — known in Japanese as seicha or shiage. It was a transformative moment in my career. I not only gained insight into the inner workings of Japanese tea refinement, but also visited numerous plantations and had the chance to engage with local producers. This experience gave me a deep understanding of how Japanese tea culture is built on excellence, patience, and a demanding sense of discipline.


3. Japan plays a significant role in your personal and professional story. What have you learned from Japanese producers, and what inspires you in their relationship to tea?

What struck me most was their sense of rigour and their willingness to go all the way. In Japan, there's a belief that if you haven’t devoted at least 10,000 hours to a craft, you can’t claim to master it. It’s a culture of total commitment.


Tea in Japan isn’t just a beverage — it’s a path, almost a spiritual journey.

That philosophy has had a profound influence on me, and I try to pass it on in my way.


4. In 2017, you launched Curiousitea on YouTube — a pioneering move at the time. What was your goal, and how do you view the project today, even if you publish less now?

Back then, there wasn’t a single French-speaking YouTube channel solely dedicated to discovering tea. I wanted to fill that gap by offering educational content inspired by my travels, research, and personal experiences. I produced videos about tea bars around the world, tea terroirs, major tea families, and later on, about the emergence of European tea production.


Today, the channel is on hold, as other projects have taken precedence, but the desire is still alive. I’m currently working on a documentary about European tea, a longer and more immersive format.


5. In parallel, you now offer a full professional training program. What motivated you to structure your knowledge into the “Focus” and “Tea Professions” courses?

Early on, I felt something was missing. I would’ve loved to have access to a clear, serious, rigorous training program when I was starting. That’s what I’m trying to build now through Curiousitea. The “Focus” modules are specialised short courses on specific themes. The “Tea Professions” track is broader — it’s a comprehensive program for anyone looking to make tea their career.

The goal is to cover all dimensions of tea, from its origins and processing to its history and professional practices.

6. Who is this training for? What kinds of profiles do you work with — amateurs, career switchers, entrepreneurs?

We welcome a wide variety of people: passionate individuals who want to go deeper, hospitality and culinary professionals in transition, and entrepreneurs looking to open a tea shop or launch their brand. The idea is to support each person based on their level, starting with a solid, rigorous, but accessible foundation.


7. You advocate for a unique approach — European and even French-grown tea. Why did you choose this path, and how do you see this emerging tea culture evolving?

Over time, I came to realize the limitations of fully integrating into Japanese culture. I love my country, and it’s in France that I want to grow and introduce tea to as many people as possible. What drives me now is the desire to bring back what I’ve seen, learned, and experienced in Japan to help build a European tea culture that is high-quality, respectful, and deeply rooted in our local landscapes.


I aim to be involved in every stage of the process: from cultivation and processing to tasting and sharing knowledge. In France—especially in Brittany—promising projects are beginning to emerge. That’s where I want to focus my energy. In fact, this year, Maison Théerie entrusted me with the tea processing work for their two partner plantations in Finistère, where I now work as a tea maker.


8. You work closely with European producers, but also with Japanese experts. How does that collaboration shape your vision of “European tea”?

Asian know-how is essential — it provides the technical and cultural foundations. That’s why I try to build bridges: bringing Japanese producers to support projects in Europe, exchanging practices, and adapting techniques to local terroirs.

It’s a mutual transmission, a blend of tradition and innovation.

9. Together with Margaux, you form a complementary duo. How do you divide your roles within Curiousitea, and how does her artistic sensibility influence your selections?

Margaux is a cornerstone of the project — she’s the compass. She joined in 2020 to help develop the online boutique. She tastes and selects with me. Her approach is highly sensory and intuitive: she pays attention to the colour of the tea, its aroma, and its texture. 


At first, she approached tea with a fresh and unfiltered perspective, allowing herself to be guided by pure sensation rather than technical analysis, and in doing so, she reflected the point of view of a curious but non-expert audience.


She brings a visual coherence to everything we do. Her connection to wabi-sabi and craftsmanship enriches Curiousitea with a poetic and artistic dimension.


10. What are your plans for the coming years? Do you plan to relaunch the YouTube channel, explore new formats, or develop other collaborations?

I’m currently working on a documentary series called “Teas of Europe”, which explores the rise of tea culture across the continent. The first episode, running about 20 to 30 minutes, will focus on a producer based in Brittany, one of the pioneers in this emerging field. We’re also planning to launch a tea-focused podcast, where we’ll invite enthusiasts and key figures from the tea world to share live tastings, thematic discussions, and conversations around current topics in the tea industry.


And in the longer term, I have a dream: founding a tea school in France — a place of training, transformation, and knowledge-sharing. Ideally in Brittany. I would love for it to offer a state-recognised diploma, and to help establish tea as a true profession, with all its demands, its dignity, and its poetry.



All pictures are credited to their website and on Youtube channel

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