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Jeremy Tamen — Le Thé comme Langage Sensoriel et Culturel

Entretien avec Jeremy Tamen

Cet entretien est disponible en français et en anglais.


Biographie


Jeremy Tamen est expert du thé, analyste sensoriel et ethno-botaniste basé à Paris. Sa trajectoire singulière conjugue sens de l'observation, science des plantes et passion du vivant. Originaire de Toulon, il grandit en Provence, au cœur des senteurs de thym, romarin, lavande et mimosa. Ce paysage olfactif marquera durablement sa vision du monde. Une tasse de thé prise un jour dans le jardin d'une amie d'enfance déclenchera une fascination qui ne le quittera plus. Il plongera alors dans l'univers du thé, passant près de dix ans chez Mariage Frères, où il perfectionnera sa compréhension des subtilités de cet art. Il a également collaboré avec Tea & Ty et Terre d’Oc, parmi d’autres.

Désireux d'élargir son regard, il se forme à l'ISIPCA en parfumerie et à la faculté de pharmacie de Lille en ethno-botanique. Aujourd'hui, il mène une activité plurielle : créateur de mélanges pour des marques comme Diptyque, Neoka ou La Fleur Nue, enseignant à l'École Supérieure du Parfum — où il a développé le premier programme d’enseignement supérieur en France consacré au thé — et consultant pour des producteurs de plantes en France et à l'international. En 2024, l'UNESCO le nomme expert du thé, reconnaissant son engagement en faveur de la transmission des savoir-faire, de la durabilité et du dialogue inter-culturel.


Jeremy Tamen pendant ses voyages en Chine
Jeremy Tamen pendant ses voyages en Chine

Un avenir du thé entre racines et modernité


Lorela : Votre parcours est profondément enraciné dans la nature. Pensez-vous que l'avenir du thé passe par un retour aux racines ou par l'innovation ?


Jeremy : Je crois que l'innovation ne peut se faire sans mémoire. On ne peut pas balayer 5 000 ans d'histoire autour du thé et prétendre innover sans comprendre ce qui a précédé. L'histoire du thé, ce sont des alliances entre civilisations, des pratiques raffinées, des gestes transmis. L'innovation, pour moi, c'est la continuité de cette histoire, pas une rupture. C'est un équilibre subtil entre savoir-faire ancien et regard contemporain.

L'innovation, pour moi, c'est la continuité de cette histoire, pas une rupture

De la parfumerie à l'ethno-botanique : des mondes qui dialoguent


Lorela : Vous êtes formé à la parfumerie et à l'ethno-botanique. Comment ces disciplines influencent-elles votre travail du thé ?


JT : Ces deux formations ont été essentielles. L'ethno-botanique m'a permis de comprendre les plantes dans leur contexte culturel, d'apprendre à les respecter et preserver. La parfumerie m'a offert une grammaire sensorielle,  mais aussi une rigueur technique de formulation. Je compose un mélange comme on crée un parfum, avec des notes de tête, de cœur, de fond, en jouant sur les textures, les intensités, les contrastes. Ce que je fais, ce n'est pas juste du "flavouring". C'est un art de l'équilibre, de l'émotion, du sens.


Je compose un mélange comme on crée un parfum


Composer un thé : une alchimie entre intuition et structure


Lorela : Lorsque vous créez un mélange, partez-vous d'une plante, d'une émotion, d'une intention ?


JT : Tout commence par un brief. Même s'il est très libre, il structure la création. Ensuite, viennent les sources d'inspiration : un souvenir, une balade, une saison, une texture, une couleur. J'aime travailler avec des contraintes. Elles orientent, affinent la pensée. La création est une navigation entre le cadre et l'imaginaire. Et chaque composition est une histoire sensorielle.

La création est une navigation entre le cadre et l'imaginaire

Travailler avec les producteurs : des alliances sensibles


Lorela : Vous collaborez avec de nombreux producteurs à travers le monde. Quels sont vos critères ?


JT : Ce qui prime, c'est la relation humaine. Je préfère travailler avec des petits producteurs qui partagent mes valeurs. L'éthique est au cœur de mes choix. J'aime savoir qui a cultivé, séché, transformé. Cela change tout. Et c'est ce qui permet aussi de proposer des thés uniques, non standardisés. 

Comme des créations de grands crus sur mesure pour la Haute Couture ou les thés de La Réunion : chaque lot raconte une histoire, singulière, irremplaçable. Quant à mes créations parfumées, elles sont à la carte de la Business Class du TGV Lyria.


Voyages et rencontres avec les producteurs


La lenteur comme méthode et philosophie


Lorela : Comment garder la lenteur dans un monde qui s'accélère ?


JT : En choisissant de sortir de l'urgence. Le thé enseigne cela. Il faut prendre le temps de sentir, d'infuser, de découvrir. Créer un mélange, c'est aussi accepter de revenir sur ses choix, de faire des essais, de douter. La lenteur, c'est un luxe, mais surtout une hygiène sensorielle. Elle permet d'entendre ce que la plante veut dire.


Texture, forme, visuel : au-delà du goût


Lorela : Vous attachez de l'importance à la texture et à la forme. Pourquoi ?


JT : Parce que la dégustation commence avant la bouche. On regarde une feuille, on touche une composition, on sent. Il faut que ce soit aussi beau que bon. Le mélange doit être une expérience visuelle, tactile, olfactive, gustative. C'est la somme de tout cela qui crée l'émotion. Le Cacao Ardent, créé pour Neo-ka, je joue sur le piquant, la chaleur, la rondeur : une texture qui raconte une histoire.


Cacao Ardent pour Neo-Ka
Cacao Ardent pour Neo-Ka


Mélanges fantômes et sources d'inspiration


Lorela : Avez-vous un mélange que vous n'avez pas encore réalisé ?


JT : Les forêts japonaises. Leur odeur, leur mystère. J'aimerais les retranscrire. Mais c'est un défi. Toutes les sensations ne sont pas transposables en thé. Il faut aussi que la maison qui accueille ce projet ait une affinité avec cette esthétique. Je pense aussi à la figue, au néroli, inspiré d'un voyage en Croatie. Ce sont des pistes encore ouvertes.


Forêt primitive de Kasugayama: source d'inspiration
Forêt primitive de Kasugayama: source d'inspiration

Enseigner le thé : défaire les préjugés


Lorela : Quel est le plus grand malentendu de vos étudiants sur le thé ?


JT : Qu'il n'y a que deux types de thé : vert et noir. Ou que c'est une boisson amère, banale, ou à la mode. Mon rôle est de montrer la diversité des couleurs, des usages, des cultures. Le thé est multiple. Il évoque des souvenirs, relie les continents, fait dialoguer les traditions. Dans mes cours, j'aime voir les étudiants internationaux, d'Asie, d'Europe, d'Amérique échanger, découvrir, s'étonner. C'est un espace de transmission sensorielle très fort.


Pendant les cours d'enseignement.
Pendant les cours d'enseignement.

L'art du thé, un héritage culturel


Lorela : Comment aimeriez-vous qu'on se souvienne de votre travail dans 20 ans ?


JT : Comme quelqu'un qui a considéré le thé non pas comme un produit de consommation, mais comme un vecteur d'émotion, de culture et de lien. Je ne cherche pas à créer des best-sellers, mais des expériences mémorables. Si mon travail permet de redonner au thé une place dans la gastronomie, la création, le patrimoine sensoriel, alors j'aurais fait ma part.



Le rôle de l'UNESCO : sauvegarder et transmettre


Lorela : Vous êtes aujourd'hui expert pour l'UNESCO. Quel est votre rôle ?


JT : Je travaille sur trois axes : la transmission des savoirs traditionnels, la valorisation du rôle des femmes dans la chaîne du thé, et la promotion de pratiques durables. Il s'agit de documenter, de protéger, de faire circuler les mémoires. Quand je visite des plantations, j'apporte aussi des parfums inspirés par le thé. Je montre aux producteurs comment leur travail inspire d'autres créateurs. C'est une forme de reconnaissance et de dialogue.




Conclusion


Le travail de Jeremy Tamen est à l'image de ses mélanges : précis, sensoriel, à la fois enraciné et novateur. Il conjugue savoir-faire, émotion et transmission. Dans un monde où le thé est souvent standardisé, il nous rappelle qu'une tasse peut être un voyage, un geste poétique, un lien entre les cultures. Le thé n'est pas seulement une boisson : c'est un art vivant, un langage, une mémoire à transmettre.



Jeremy Tamen — Tea as a Sensory and Cultural Language


Interview with Jeremy Tamen

This interview is available in French and English


Biography


Jeremy Tamen is a tea expert, sensory analyst, and ethnobotanist based in Paris. His unique trajectory combines keen observation, plant science, and a passion for the living world. Born in Toulon, he grew up in Provence, surrounded by the scents of thyme, rosemary, lavender, and mimosa. This olfactory landscape deeply shaped his view of the world. A cup of tea, shared one day in a friend’s garden, sparked a lifelong fascination. From there, he dove into the world of tea, eventually spending ten years with Mariage Frères, where he absorbed the nuances and complexities of the craft. Among the many brands, he also collaborated with Tea & Ty and Terre d’Oc.


Eager to broaden his perspective, he trained at ISIPCA in perfumery and at the University of Lille’s Faculty of Pharmacy in ethnobotany. Today, he works across multiple domains: creating tea blends for brands such as Diptyque, Neoka, and La Fleur Nue; teaching at the École Supérieure du Parfum— where he developed the first higher education program dedicated to tea —and consulting with plant producers in France and abroad. In 2024, UNESCO appointed him as a tea expert, acknowledging his dedication to preserving traditional knowledge, promoting sustainability, and fostering intercultural dialogue.


The Future of Tea: Roots and Modernity


Lorela: Your journey is deeply rooted in nature. Do you think the future of tea lies in returning to its roots or through innovation?


Jeremy: I believe true innovation can only emerge from memory. You can't simply erase 5,000 years of tea history and claim to innovate without understanding what came before. The history of tea encompasses cultural exchanges, refined practices, and inherited gestures. Innovation, for me, continues this narrative rather than disrupting it. It requires a delicate balance between ancestral know-how and a contemporary lens.


The history of tea encompasses cultural exchanges, refined practices, and inherited gestures

From Perfumery to Ethnobotany: Worlds in Dialogue


Lorela: You trained in both perfumery and ethnobotany. How do these fields influence your approach to tea?


JT: These two paths were pivotal. Ethnobotany taught me to understand plants in their cultural contexts and to treat them with respect. Perfumery offered me a sensory grammar along with the technical aspects of formulation. I compose a tea blend the way one constructs a perfume—with top, heart, and base notes, working with textures, intensities, and contrasts. What I do isn’t just "flavouring." It’s an art of balance, emotion, and meaning.


I compose a tea blend the way one constructs a perfume

Crafting a Blend: Between Intuition and Structure


Lorela: When creating a blend, do you begin with a plant, an emotion, or an intention?


JT: Everything begins with a brief. Even the most open one provides structure. Then inspiration flows: a memory, a walk, a season, a texture, a colour. I enjoy working within constraints. They sharpen the creative process. Each composition is a sensory story.


Working with Producers: Meaningful Alliances


Lorela: You collaborate with many tea producers around the world. What guides your choices?


JT: Human connection is key. I prefer working with small-scale producers who share my values. Ethics are at the heart of my decisions. I want to know who grew, dried, and processed the tea. That changes everything. It’s also what allows for unique, non-standardised teas. Like the bespoke grands crus crafted for Haute Couture, or the teas from Réunion Island: each batch tells a unique, irreplaceable story. My scented tea creations are also featured on the Business Class menu of the TGV Lyria trains.


 I prefer working with small-scale producers who share my values

Slowness as Philosophy and Method


Lorela: How do you preserve slowness in a world that moves faster and faster?


JT: By choosing to step outside the rush. Tea teaches us this. You must take time to smell, to steep, to discover. Creating a blend also means being willing to revisit choices, to experiment, to doubt. Slowness is a form of sensory hygiene. It lets us truly hear what a plant is saying.


Texture, Form, and the Visual: Beyond Flavour


Lorela: You emphasise texture and form. Why?


JT: Because tasting begins before it reaches the mouth. We see the leaves, touch the blend, and smell it. It has to be as beautiful as it is delicious. A blend should be a visual, tactile, olfactory, and gustatory experience. That’s what creates emotion. "Cacao Ardent," made for Neoka, plays with heat, spice, and roundness—a texture that tells a story.


 A blend should be a visual, tactile, olfactory, and gustatory experience.

Ghost Blends and Inspirations


Lorela: Do you have a blend you’ve dreamed of creating but haven’t yet?


JT: The forests of Japan. Their scent and mystery. I’d love to capture that. But it's a challenge. Not all sensations translate well into tea. It also depends on finding the right brand, the right context. I also dream of working with fig and neroli, inspired by a journey through Croatia. These are still open creative threads.


Not all sensations translate well into tea.

Teaching Tea: Dismantling Misconceptions


Lorela: What is the biggest misconception your students have about tea?


JT: That there're only two types of teas: green and black. Or that it's a bitter, common, or trendy drink. My role is to show its diversity of colour, use, and culture. Tea is plural. It evokes memories, connects continents, and bridges traditions. In class, I love seeing students from Asia, Europe, and the Americas share and discover. It becomes a powerful sensory dialogue.


Tea as Cultural Heritage


Lorela: How would you like your work to be remembered in 20 years?


JT: As someone who viewed tea not just as a product, but as a source of emotion, culture, and connection. I’m not aiming for best-sellers. I want to craft memorable experiences. If my work helps reposition tea within gastronomy, creative fields, and sensory heritage, I’ll feel I’ve contributed meaningfully.


Your Role with UNESCO: Preserving and Transmitting


Lorela: You’re currently a tea expert with UNESCO. What does your role involve?


JT: I work on three fronts: transmitting traditional knowledge, elevating women’s roles in the tea sector, and promoting sustainable practices. It’s about documenting, protecting, and sharing collective memories. When I visit plantations, I often bring perfumes inspired by tea to show producers how their work resonates with other creators. It’s a way of honouring and deepening the dialogue.


Conclusion


Jeremy Tamen’s work is like his blends: precise, sensory, rooted yet forward-thinking. He combines craftsmanship, emotion, and transmission. In a world of standardised teas, he reminds us that a single cup can be a journey, a poetic gesture, a cultural bridge. Tea is not just a beverage—it is a living art, a language, and a memory to be shared.


All pictures credits go to Jeremy Tamen.

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