Kodama: L’esprit du thé en mouvement
- Lorela Lohan
- Jul 10
- 9 min read
Updated: Aug 26
Entretien avec Vincent, cofondateur de Kodama
Cet entretien est disponible en français et anglais.
This interview is available in French and English.
Introduction
Il y a des maisons de thé qui intriguent à distance et qui confirment leur singularité dès que l’on pousse leur porte. Kodama en fait partie.
Lors d’un passage à Paris, j’ai eu le plaisir de rencontrer Vincent, cofondateur de cette maison indépendante nichée entre alchimie sensorielle, poésie végétale et audace olfactive. L’entretien a eu lieu dans leurs bureaux, au cœur de leur univers créatif.
J’ai toujours été sensible aux marques qui savent se démarquer sans bruit, simplement par la justesse de leur vision. Kodama cultive cette rareté : un style affirmé, une sincérité dans le produit, et un soin réel accordé à l’expérience. Ils soutiennent également la première edition en français de t-Magazin, et leurs boutiques — que j’ai eu l’occasion de visiter — sont un excellent point d’entrée pour les amateurs de thé pur qui souhaitent franchir, parfois avec hésitation, la frontière des thés parfumés.
Voici donc 7 questions qui reflètent le ton libre, précis et passionné de notre courte mais dense discussion.
1. Kodama est née d’un amour commun pour le thé et les parfums. Peux-tu nous raconter la genèse de ce projet et ce qui vous a poussé à sauter le pas ?
À 20 ans, je vivais à Taïdong, une petite ville sur la côte est de Taïwan. J’y ai découvert le thé comme on tombe amoureux : comme une évidence, avec beaucoup d’émotions et d’idées reçues levées. Dix ans plus tard, alors que je travaillais sur un autre projet, je suis tombé par hasard sur une statistique de l’INSEE qui permettait de connaître son espérance de vie selon son année de naissance. J’ai fait le calcul et j’ai compris que j’avais déjà vécu 40 % de ma vie. Ce chiffre m’a frappé : ça m’a paru énorme pour mon âge. J’ai démissionné la semaine suivante. C’est ce moment qui a déclenché, concrètement, l’envie de fonder Kodama.
2. Vous êtes aujourd’hui une petite équipe très soudée, aux profils variés. Peux-tu nous présenter les membres de l’équipe Kodama et ce que chacun apporte à l’aventure ?
Kodama est une entreprise à taille humaine, avec des valeurs profondément ancrées dans la rencontre et le plaisir du bon produit. Je travaille avec Alix et Martin, mes associés — qui sont aussi frère et sœur. Alix, qui vient du monde de l’hospitalité, pilote toute notre activité BtoB : elle est en lien direct avec les hôtels et coffee shops qui souhaitent proposer nos thés. Martin, artiste à la ville, est à la fois notre Directeur Artistique et le garant du bon fonctionnement opérationnel de l’entreprise. Et puis il y a notre équipe en boutique : une dizaine d’alchimistes, comme on aime les appeler, qui infusent chaque jour nos mélanges au rythme des saisons et des envies. C’est une structure à la fois professionnelle et familiale.
3. Se lancer dans une maison de thé indépendante à Paris n’est pas une mince affaire. Quels ont été les plus grands défis que vous avez rencontrés au cours de la création et du développement de Kodama ?
Le tout premier défi, c’était la gestion d’un salon de thé lui-même. Aucun de nous n’était commerçant au départ : il a fallu se réinventer, apprendre le métier, comprendre ses contraintes, et surtout s’adapter à un quotidien très opérationnel. Ensuite, Paris. C’est une ville passionnante, mais aussi très exigeante. Il y a énormément d’offres, beaucoup de culture autour du produit — et donc, forcément, des attentes. Mais le plus grand défi, pour moi, a été la légitimité. Comment faire comprendre qu’on avait notre place dans cet univers ? Comment créer une marque qui ne soit pas une énième déclinaison, mais qui apporte quelque chose de sincère, de personnel ? Kodama, c’est une proposition différente, et il a fallu apprendre à assumer cette singularité.
Mais le plus grand défi, pour moi, a été la légitimité. Comment faire comprendre qu’on avait notre place dans l'univers du thé ?
4. Le nom « Kodama » évoque les esprits de la forêt dans la culture japonaise. Pourquoi ce choix, et en quoi ce nom incarne-t-il l’âme de votre maison de thé ?
Il y a dans le kodama le symbole de notre rapport à la nature : une invitation à la respecter, à la protéger, à comprendre qu’elle abrite une multitude d’écosystèmes. Et au-delà de ça, le kodama incarne aussi une forme de lien spirituel entre l’humain et le vivant.Le Japon a d’ailleurs été l’un des tout premiers pays avec lesquels nous avons travaillé pour créer nos recettes. Ce nom est donc à la fois un hommage culturel et un manifeste : celui d’une maison de thé habitée, au sens fort du terme.

5. Vous vous définissez comme des « alchimistes du thé ». Comment se passe la création d’un nouveau mélange ? Est-ce d’abord une idée, une émotion, un souvenir ?
On est spécialisés dans les mélanges. Très souvent, on part d’un ingrédient, d’une matière première qui nous intrigue, ou d’une sensation qu’on cherche à capturer. Ça peut être une envie de chaleur, de fraîcheur, de profondeur…On travaille parfois avec des pâtissiers, ce qui permet de faire dialoguer les textures, les goûts, les intentions. Par exemple, pour le mélange La Belle Étoile, on voulait travailler quelque chose de plus terrien, plus sombre, après un mélange très solaire. Cette idée de contraste nous guide souvent.Chaque recette est pensée comme un petit univers autonome — et surtout, comme une émotion à partager.
6. Vos thés sont disponibles en boutique, mais aussi dans des restaurants, hôtels et salons de thé. Comment choisissez-vous vos partenaires professionnels ?
Nos principaux partenaires sont des coffee shops et des hôtels. Ce sont souvent des établissements avec une vraie exigence produit, un souci du détail.On applique un filtre naturel : on ne cherche pas la quantité, mais la qualité du lien. Il faut qu’on parle la même langue — une langue faite de goût, de soin, de respect du travail artisanal.On privilégie les endroits avec lesquels il y a une affinité de valeurs. C’est comme ça que naissent les meilleures collaborations, celles qui durent.
Il faut qu’on parle la même langue — une langue faite de goût, de soin, de respect du travail artisanal.
7. Enfin, pour quelqu’un qui découvre Kodama pour la première fois, quel thé ou quelle infusion recommanderais-tu pour ouvrir la porte de votre univers ?
Mon obsession, lors de la création d’une recette, c’est l’équilibre. Je suis convaincu que le tout peut parfois dépasser la somme des parties. Je travaille presque toujours en triptyque — une feuille, un fruit, une épice — parce que j’aime cette stabilité-là, un peu comme un tabouret à trois pieds.
Pour découvrir notre univers, je recommanderais École Buissonnière : un thé vert du Zhejiang à peine jasminé, des abricots séchés, et de la lavande de Provence.
C’est une échappée belle vers le printemps, une infusion lumineuse et douce, idéale pour entrer dans notre monde.
Mon obsession, lors de la création d’une recette, c’est l’équilibre.
Conclusion
Ce qui frappe chez Kodama, au-delà des mélanges eux-mêmes, c’est la cohérence du projet. Tout semble pensé avec intention : les noms, les associations, les lieux, jusqu’à l’équilibre des saveurs.Dans un marché du thé où il est parfois difficile de distinguer le fond du décor, la maison assume son positionnement poétique, artisanal et profondément incarné.Et pour ceux qui hésitent encore à explorer le monde des thés parfumés, une visite chez Kodama — ou une tasse de École Buissonnière — pourrait bien ouvrir une porte inattendue.
Kodama: The Spirit of Tea in Motion
A conversation with Vincent, co-founder of Kodama
Introduction
Some tea houses intrigue you from afar, and confirm their uniqueness the moment you step through the door. Kodama is one of them.
While visiting Paris, I had the pleasure of meeting Vincent, co-founder of this independent tea house — a place rooted in sensory alchemy, botanical poetry, and bold aromatic intuition. The interview took place at their offices, right in the heart of their creative universe.
I’ve always admired brands that manage to stand out quietly, through the clarity of their vision rather than noise. Kodama embodies that rare quality: a distinctive style, true sincerity in the product, and thoughtful attention to the experience. The brand also supports the first French version of t-Magazin, and their shops — which I had the chance to visit — are an excellent gateway for tea purists curious to cross over, however cautiously, into the world of scented teas.
What follows are 7 questions that reflect the open, precise and passionate tone of our brief but rich conversation.
1. Kodama was born from a shared love of tea and fragrance. Can you tell us the story behind the project and what gave you the courage to make it real?
When I was 20, I lived in Taidong, a small town on Taiwan’s east coast. That’s where I discovered tea, like falling in love. It was immediate, emotional, and overturned many preconceived ideas.
Ten years later, while working on a completely different project, I came across a statistic on the French national statistics website (INSEE) that calculates your life expectancy based on your birth year. I did the math and realised I had already lived 40% of my life. That number hit me hard — it felt like a lot for someone my age. I quit my job the following week. That was the moment when the idea of founding Kodama truly took shape.
2. Today, you're a close-knit team with diverse backgrounds. Could you introduce us to the people behind Kodama and what each of them brings to the adventure?
Kodama is a human-scale company, driven by real values — connection, craftsmanship, and the joy of great products.
I work with Alix and Martin, my co-founders, who also happen to be siblings. Alix, who comes from a hospitality background, oversees our B2B side: she builds partnerships with hotels and coffee shops that want to offer our teas. Martin is an artist by nature and is both our Artistic Director and the person ensuring the company runs smoothly daily.
And then there’s our boutique team: around ten “alchemists,” as we like to call them, who infuse our blends day after day in rhythm with the seasons and moods. It’s a professional yet deeply familial structure.
3. Launching an independent tea house in Paris is no small feat. What have been the biggest challenges you’ve faced while building and growing Kodama?
The very first challenge was managing the tea shop itself. None of us came from a retail background — we had to reinvent ourselves, learn the trade, understand its constraints, and adapt to a hands-on, day-to-day reality.
Then came Paris. A wonderful city, but also incredibly demanding. The offer is vast, the tea culture is strong, and so are the expectations.
But for me, the biggest challenge was legitimacy. How do you make people understand that you belong in this world? That your project isn’t just another copy, but brings something sincere, personal? Kodama is a different proposition, and learning to embrace that uniqueness has been part of the journey.
4. The name “Kodama” refers to forest spirits in Japanese folklore. Why did you choose this name, and how does it reflect the soul of your tea house?
For us, the kodama symbolises our relationship with nature — a reminder to protect what’s precious, to recognise the diversity of ecosystems, and to nurture the spiritual connection between humans and the living world.
Japan was also one of the very first countries we worked with to source ingredients and develop blends. So the name is both a cultural tribute and a kind of manifesto: a declaration of what it means to be a tea house that’s alive, in every sense of the word.
5. You describe yourselves as "tea alchemists." What does the process of creating a new blend look like? Does it start with an idea, a memory, a mood?
We specialise in blends. Most of the time, we start with an ingredient or a raw material that intrigues us, or a sensation we want to capture. It might be a craving for warmth, freshness, something earthy or ethereal.
We sometimes work with pastry chefs, which helps us cross disciplines and play with textures, layers, and intentions. Take La Belle Étoile, for instance: we wanted to create something more grounded, more introspective, after a very sunny blend. That sense of contrast often guides us.
Each blend is conceived as a little world of its own, and above all, as a feeling to share.
6. Your teas are available in your boutiques, but also in restaurants, hotels and cafés. How do you choose your professional partners?
Our main clients are coffee shops and hotels — places with true appreciation for product quality and detail.
We apply a natural filter: we’re not looking for volume, but for meaningful connections. We must speak the same language — one shaped by taste, care, and respect for artisanal work.
We seek out places that share our values. That’s where the best partnerships are born — the ones that last.
7. For someone discovering Kodama for the first time, which tea or infusion would you recommend as an entry point into your world?
When I create a recipe, I’m obsessed with balance. I believe that the whole can be greater than the sum of its parts.
I almost always work in triptychs — one leaf, one fruit, one spice — because I like that sense of stability, like a three-legged stool.
To discover our world, I’d recommend École Buissonnière: a lightly jasmine-scented green tea from Zhejiang, paired with dried apricot and Provençal lavender. It’s a gentle escape into spring — luminous and soft — and a beautiful way to step through the door.

Conclusion
What stands out at Kodama, beyond the blends themselves, is the project’s coherence. Everything feels intentional — from the names and ingredient pairings to the spaces and the balance of flavours.
In a tea market where it can be hard to distinguish substance from style, Kodama embraces a poetic, artisanal, and deeply human approach.
And for anyone hesitant to explore the world of scented teas, a visit to their boutique — or simply a cup of École Buissonnière — might just open an unexpected door.
All photos are credited to Kodama.
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